Qualms.

          Un sentiment sans piment. Rien de bien folichon, Léon. Juste une infinie étendue d'eau noire et immobile. Juste rien. En dessous de l'huile pourtant, ça bout, ça s'excite, ça manque d'exploser. Mais rien ne remonte à la surface. Pas un remous. Comme si tout avait été condamné, la vie n'existe plus que virtuellement, le corps ne réagit plus. Un coma les yeux ouverts, mais aucune voix lointaine, d'une chambre d'hôpital, d'un jardin, d'une rue, d'une église. Rien.

          Il faut peut-être se plonger dans la boue d'ébène, tout au fond, pour revivre,mais a-t-on une chance de s'en sortir indemne? A-t-on une chance de remonter? Et quel résultats en attendre?

          De l'autre côté de la rive, je vois les autres. Ils ne peuvent pas traverser, alors  ils me font des grands gestes pour me signifier leur présence. Je les sais, je ne les sens pas. Il sont là en vain, et j'ai froid pour eux.

          J'approche du bord et je tente un coup d'oeil à travers la peau de l'eau. En dessous, je vois une femme d'un autre temps, une femme jeune, une jeune fille. Dans ses yeux, du feu, qui se retient de tout embraser. Elle a mal mais elle vit. Elle a mal donc elle vit. Spleen et Idéal, comme dirait l'autre. Je vois des idéaux, des mots, des envies.

          S'il suffisait de prendre de la hauteur, et de se laisser tomber dans l'océan vivant, pour tout relancer? Exploser les murs, exploser le temps, exploser les limites, et tout reprendre à zéro? S'il suffisait d'oublier tout, pour tout réapprendre mieux? Partir à des lieues d'ici, seul, et chercher cette solitude. Ne pas vouloir à tout prix rejoindre sans tarder les autres sur la rive d'en face, juste le temps de réfléchir, de trouver du matériel solide pour la barque, du bois imbrûlable pour un foyer, de l'acier pour une armure.

         Et après seulement, aller vers eux, trouver cette putain de lumière, et aider,

Aider les autres n'est possible que si l'on peut déjà s'aider soi-même.

Sans ça, qu'on le veuille ou non, d'une façon, ou d'une autre, on mourra.

Soit dedans, soit dehors.

Par Asphyxie. Par Défaut. Par Ennui.